Tous les ouvrages académiques sur le travail du bois vont aborder le rabot en s’appuyant sur des illustration permettant d’identifier les différents angles caractéritisques. On y retrouve systématiquement l’angle de coupe, l’angle de fer, l’angle de biseau et l’angle de dépouille… D’ailleurs l’ouvrage sur les outils paru en avril n’échappe pas à la règle parce que cette approche permet de bien fixer les idées. Alors si chacune de ces appellations à l’exception de la dernière portent un nom tel que le sens qu’elles portent laisse peu de place à l’ambigüité, tout le monde connait l’angle de dépouille et pourtant peu de personnes comprennent réellement ce que c’est de même que l’enjeu qu’il revêt.
Parce que le fameux angle de dépouille, lui, est plus vague à concevoir et bien moins facile à appréhender. Or il joue un rôle important pour ne pas dire essentiel dans la mécanique de production du copeau. Alors aujourd’hui on va parler d’angle de dépouille et pour en comprendre l’enjeu, nous allons faire appel à des notions de géométrie et de physique du niveau 3ème: les vecteurs vitesse et la composition des vecteur vitesse. Je préfère d’ailleurs prévenir ceux qui font de l’herpès géométral, parce que ce sont ces notions qui vont permettre de comprendre le sujet dont cet article parle, article qui constitue d’ailleurs un excellent complément à l’ouvrage sorti cette année!
L'angle de dépouille? Ques aquò?
L’angle de dépouille est défini comme suit: c’est l’angle que le bois voit dans le sillage de l’outil.
Alors avec ça me direz-vous, on est bien avancé. Ça reste toujours aussi flou et comme un joli schéma vaut mieux qu’un long discours, voici une illustration qui va permettre de se faire une meilleure idée de la chose:
Tu en voulais, de l'angle de dépouille? Eh ben en voilà, téh...!
Soit. On connaît désormais la définition. Mais quel rôle l’angle de dépouille joue-t-il et en quoi l’angle de dépouille influence-t-il la coupe?
L’angle de dépouille est en réalité essentiel pour permettre la production de copeau. Que l’on parle de bois ou de métal ou de tout autre matériau d’ailleurs, sans angle de dépouille, nulle coupe possible. Une illustration?
A gauche l’angle de dépouille est important et permet de faire descendre l’outil dans la matière. A droite, pas d’angle de dépouille, l’outil talonne et malgré toute la pression du monde, il ne descendra pas.
En réalité, et le schéma l’illustre bien, cet angle permet à l’outil d’éviter de talonner et par conséquent de plonger dans la matière. D’ailleurs la vitesse de plongée de la lame dans la matière (Vv) est dans une certaine mesure liée à la vitesse d’avancement de l’outil à la surface de la pièce (Va). En effet, plus l’angle de dépouille est important, plus l’outil sera prompt à plonger dans le bois. Il atteindra alors sa pleine efficacité presque immédiatement.
A contrario, un angle de dépouille trop faible entraînera une plongée interminable de l’outil. Autrement dit et parce que la matière contraint la trajectoire de l’outil, il existe une vitesse maximale de plongée de l’outil pour un angle de dépouille donné. Cette assertion est vraie quel que soit l’outil et quelle que soit la matière: c’est tout simplement la géométrie du tranchant et l’architecture de l’outil qui le dicte!
L'angle de dépouille n'est pas ton ennemi
L’angle de dépouille, c’est justement ce sur quoi le sculpteur sur bois va directement jouer pour contrôler la plongée de son outil: il va modifier l’inclinaison de son ciseau ou de sa gouge et par là même son angle de dépouille pour mordre plus ou moins avec son outil et donc prendre plus ou moins de matière à chaque coup de maillet! C’est la raison pour laquelle les sculpteurs travaillent avec le biseau vers le bas 😉
Ceci dit et nous allons le voir, sur certains outils, il faut impérativement respecter un certain angle de dépouille sous peine de ruiner leur efficacité. (Sous entendu: Ouh là, malheureux, ne fais pas n’importe quoi avec ton angle de dépouille!!!)
Un exemple parlant: l'affûtage d'une mèche
Il est tout à faite envisageable et même recommandé de réaffûter les mèches à bois (en particulier les mèches à vis pilote). Cependant et en vertu de ce que l’on vient de voir, on comprendra aisément qu’il est des surfaces des tranchants d’une mèche que l’on pourra venir reprendre et d’autre qui ne doivent jamais ô grand jamais voir les dents d’une lime ou d’un tiers point.
Pour fixer les idées, les organes tranchants d’une mèche à bois à vis pilote sont d’une part les tranchants positionnés en extrémité de goujure et orientés radialement (ces tranchants sont situés de part et d’autre de la vis pilote pour les mèches à double goujure), et d’autre part les oreilles dont les tranchants se rapprochent de la direction longitudinale de la mèche.
Petit rappel sur la mise en oeuvre d'une mèche à vis pilote
Avec la rotation de la mèche, la vis pilote tire l’outil dans la matière. Les oreilles entrent au contact de la matière bien avant les tranchant et viennent sectionner les fibres. Ces fibres ne sont plus solidaires des fibres restées dans la pièce et les tranchants droits vont les soulever sans effort et les évacuer le long des goujures de l’outil jusqu’à la surface de la pièce.
Conséquences
Fort de ce rappel, on comprend que la vitesse d’avancement de l’outil dans le bois est donnée par le pas de la vis pilote (c’est à dire de combien la mèche progresse dans le bois pour un tour de manivelle). Ainsi, pour que l’outil fonctionne, il est impératif que l’angle de dépouille des tranchants soit adapté à cette vitesse d’avancement. Trop faible, l’outil ne parviendra pas à pénétrer suffisamment vite dans le bois, pas aussi vite que la vis pilote ne tire la mèche du moins, ce qui rendra la mèche parfaitement inefficace!
Il est par conséquent hors de question ici de toucher l’angle de dépouille!
Un autre exemple: l'affûtage des dents de scies circulaires
Je vous propose, dans une démarche d’enrichissement de notre culture bois, que l’on sorte un peu du domaine de prédilection de ce blog. Et vous qui étiez ceinture marron en angle de dépouille, je vous propose de nous frotter à un problème un peu plus complexe, certes, mais à votre portée, j’en suis convaincu, pour devenir ceinture noire. Cet exemple est éloquent et montre la relation qui existe entre l’angle de dépouille, la vitesse de progression de l’outil dans la pièce et la vitesse de rotation de l’élément de coupe. Vous sentez qu’on monte d’un cran mais vous allez voir que même si c’est plus complexe, ça n’en est pas moins compréhensible!
Le constat
Tout cela part d’un constat (très certainement partagé): je me suis déjà retrouvé à pousser une scie circulaire (oui oui, ça m’est arrivé et ça m’arrive encore!) et j’ai remarqué que dans certaines conditions, j’ai beau pousser comme un âne (et dieu sait que je peux pousser dans ces conditions!!!), la scie atteint une vitesse limite, une sorte d’asymptote impossible à dépasser. Le phénomène est surprenant quand on y est confronté.
La scie est pourtant bien affûtée, le bois ne pince pas la lame, le couteau diviseur plongeur est bien en place, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et pourtant l’outil n’avancera pas plus vite… J’ai même remarqué que plus la scie plonge dans le bois, plus ce phénomène arrive rapidement et plus la vitesse est faible. Incompréhensible me direz-vous?? Hmmm… que nenni…!
Hypothèses
Considérons une scie circulaire dont chaque dent sur la périphérie de la lame présente un angle de dépouille donné. Partons également du principe que l’on imprime à la lame une vitesse de rotation donnée et constante. Et puis, comme j’aime bien pousser les choses à leur limite, imaginons une scie fictive ou une configuration qui permette à l’axe de la lame de se retrouve légèrement en dessous de la surface du bois.
Observations
Arrêtons nous et étudions maintenant la dent, en bout de lame, qui s’apprête à quitter le bois. La lame tourne bien évidemment dans le carter de la scie. La dent en question se déplace donc avec une certaine vitesse linéaire par rapport au bois. On va se placer du point de vue du bois et on va regarder par quelle vitesse la dent est mue.
La dent en question va décrire un mouvement résultant de la composante de deux autres mouvements: la vitesse de progression de la scie à la surface du bois et la vitesse linéaire de la dent due à la rotation de la lame. Cette dernière, la vitesse linéaire de la dent due à la rotation de la lame, est égale au produit de la vitesse de rotation de la lame et du rayon de cette dernière.
La vitesse résultante telle que la voit le bois, est alors donnée par la somme de ces deux vecteurs vitesse (la vitesse de progression de l’outil et la vitesse mue par la rotation de la lame).
Discussion
Tiens tiens… Regardez le schéma ce dernier schéma et penchez la tête à droite. Et justement ça ne vous rappelle pas quelque chose???
Evidemment que oui (je n’ai fait que pivoter le dessin d’un quart de tour vers la gauche) et on en déduit que plus la vitesse de progression de la scie à la surface du bois augmente, plus la vitesse de plongée Vv de l’outil (par analogie à ce que l’on a vu plus tôt) augmente. Autrement dit, à partir d’une certaine vitesse Vv (c’est à dire ici à partir d’une certaine vitesse de progression de la scie à la surface du bois), l’insert en carbure de tungstène talonne parce qu’exactement comme on l’a vu plus haut, l’angle de dépouille limite la vitesse de progression de la scie.
Alors oui, je sais, il s’agit d’un cas limite pour une scie fictive, certes, mais ça permet de fixer les idées. Ceci dit, si l’on revient à une scie un peu plus réaliste et si l’on diminue la profondeur de coupe, la vitesse limite de progression de l’outil sera plus grande, certes, mais cette vitesse limite existera bel et bien. C’est tout simplement que l’angle de dépouille engendre du talonnage!
Y a-t-il des solutions?
Qu’à cela ne tienne… Si l’on veut scier plus rapidement et pour peu que la puissance de l’outil l’autorise, nous allons avoir deux possibilités pour faire en sorte que la pente de la vitesse de la dent ne vienne pas coïncider avec l’angle de dépouille (on cherche justement à éviter ça!).
La piste des vitesses
Une première option consiste à augmenter la vitesse de rotation de la lame. Ça va avoir pour effet d’augmenter la vitesse linéaire de la dent, autrement dit d’étirer la vitesse Va et donc de ramener la composante du vecteur vitesse vers la vitesse Va. On s’éloigne ainsi de l’angle limite donné par l’angle de dépouille. Or les scies tournent très souvent à régime max et plus la résistance du bois est importante, plus le régime baisse. C’est la double peine: la scie peine à faire tourner sa lame, par conséquent la vitesse Va diminue, ce qui mécaniquement fait augmenter l’angle de la composante des vitesses vue par le bois et nous rapproche dangereusement de l’angle de dépouille… Plus on pédale moins vite, moins on va plus vite…!
Certaines scies haut de gamme sont asservies en vitesse (le moteur est suffisamment puissant pour imposer une vitesse constante) mais jusqu’à une certaine limite. En talonnant, on augment les frottements et déjà qu’il y avait beaucoup de bois à avaler (je parie 10 sur la table que la scie est déjà dans le rouge), il y a toutes les chances pour que l’outil finisse par caler.
La piste des angles
Une seconde option envisageable consiste à augmenter l’angle de dépouille… Or ce n’est pas aussi simple que ça, et c’est justement ce qu’on va voir.
Les conséquences (pour les outils à main du moins)?
Rabots à biseaux vers le haut/rabots à biseau vers le bas
Ces deux architectures dont on parle abondamment dans le fameux livre diffèrent dans la mesure où une architecture donnée définit et fixe certains angles caractéristique de l’outil quand d’autres angles sont variables. Chaque architecture a ses variants et ses invariants.
En l’occurrence, un rabot à biseau vers le haut va rendre fixe et indépendant l’angle de dépouille (il correspond à l’angle du fer). A contrario, l’angle de dépouille d’un rabot à biseau vers le bas verra son angle de dépouille varier en fonction de l’angle d’affûtage du fer.
A retenir donc:sur un rabot à biseau vers le haut, l’angle de dépouille est fixe tandis que sur un rabot à biseau vers le bas, l’angle de dépouille dépend de l’angle d’affûtage.
Petite observation: sur un rabot à biseau vers le bas, l’angle de dépouille est égale à l’angle de fer auquel on soustrait l’angle de biseau et dans le cas d’un rabot à biseau vers le haut, l’angle de dépouille correspond très exactement à l’angle du fer.
La limite basse de l'angle d'affûtage
On perçoit déjà sur les rabots à biseau vers le bas une limite basse à l’angle d’affûtage pour atteindre une vitesse maximale de plongée dans le bois.
Sur ce type d’architecture, l’angle de dépouille maximal que l’on puisse atteindre correspond à l’angle de fer. Or dans cette configuration, l’angle d’affûtage (c’est à dire de biseau) devient virtuellement nul, ce qui, et c’est un euphémisme, rend le tranchant quelque peu fragile. Il faudra par conséquent trouver un compromis entre tenue du tranchant et vitesse de plongée de l’outil dans le bois en fonction de l’acier qui constitue l’outil.
La limite haute de l'angle d'affûtage
De la même manière et comme nous l’avons vu, l’angle de dépouille ne doit en aucun cas autoriser un talonnage du fer de l’outil. En d’autres termes, sur un rabot à biseau vers le bas, l’angle d’affûtage maximal est donné pour un angle de dépouille nul. Ce qui en vertu de l’architecture de l’outil correspond à la situation où l’angle de biseau équivaut à l’angle de fer.
L'angle d'affûtage et tenue du tranchant
On aurait tendance à se dire que l’angle d’affûtage le plus adapté à la tenue du tranchant est l’angle le plus obtus possible. Et si l’on se place strictement du point de vue du tranchant, c’est à dire de manière complètement indépendante de l’opération que l’on réalise (le rabotage par exemple), ça a du sens: il y aura plus de matière juste derrière le tranchant. Ceci implique plus de matière non seulement pour dissiper la chaleur générée par frottement mais également pour encaisser les chocs, ce qui le rend bien plus solide.
Or sur un rabot à biseau vers le haut, plus l’angle de biseau augmente, plus l’angle de coupe sera important. En conséquence de quoi la résistance du bois à l’avancement du rabot sera bien plus grande. Achetez-vous dans ce cas une paire de bras de rechange si vous comptez voir le bout de votre journée de corroyage!
D’autre part, sur un rabot à biseau vers le bas, plus on augmente l’angle de biseau plus l’angle de dépouille diminue. Ça a pour effet d’augmenter le frottement du fer sur la matière et par conséquent la chaleur générée. Or plus l’acier est chaud, plus il s’abrase facilement au contact de la matière. La tenue dans le temps du tranchant sera par conséquent réduite.
L'angle d'affûtage optimal
On va être très pragmatique sur ce coup là et on ne va pas réinventer la roue. Parce qu’avec des décennies et des siècles de pratique, les artisans de l’époque ont trouvé l’angle optimal d’affûtage.
C’est l’acier qui détermine l’angle d’affûtage optimal. C’est à dire l’angle pour lequel la coupe est la plus efficace, sans pour autant sacrifier en tenue de coupe. Plus l’acier sera de qualité et plus la tenue du tranchant dans le temps sera grande. Et pour les aciers courants des outils d’aujourd’hui (je parle des vrais outils et non des objets en forme d’outils), l’O2, l’A1 et autres joyeusetés (PMV-11, PVM10, etc…) ont un angle d’affûtage optimal entre 25 et 30°.
Forcer l’angle légèrement au-delà de ces valeurs ne va pas drastiquement modifier la tenue du tranchant à l’usure. Mais plus on va s’en éloigner et plus la tenue chutera.
Une fois tout cela posé, s’il est une seule chose à retenir, c’est que sans angle de dépouille, point de copeaux.
Quoiqu’il en soit, affûtez, mais affûtez bien, mes amis… Et prenez soin de ce fameux et fabuleux angle de dépouille! Maintenant, vous savez pourquoi!!!
2 replies to “Le Fameux et Fabuleux Angle de Dépouille”
Petitjean
Excellent complément au livre en effet !
J’ai affûté 3 ciseaux à bois pour la 1ere fois de ma vie hier… je n’en étais pas peu fier !
Merci pour ce super contenu.
Ce qu’on oublie trop souvent c’est qu’avant de savoir travailler le bois à la main, il faut impérativement, et c’est paradoxal, apprendre à affûter…
Merci pour ce retour!
Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site web. Si vous continuez à utiliser ce site, nous supposerons que vous en êtes satisfait.OK
Le Fameux et Fabuleux Angle de Dépouille
Tous les ouvrages académiques sur le travail du bois vont aborder le rabot en s’appuyant sur des illustration permettant d’identifier les différents angles caractéritisques. On y retrouve systématiquement l’angle de coupe, l’angle de fer, l’angle de biseau et l’angle de dépouille… D’ailleurs l’ouvrage sur les outils paru en avril n’échappe pas à la règle parce que cette approche permet de bien fixer les idées.
Alors si chacune de ces appellations à l’exception de la dernière portent un nom tel que le sens qu’elles portent laisse peu de place à l’ambigüité, tout le monde connait l’angle de dépouille et pourtant peu de personnes comprennent réellement ce que c’est de même que l’enjeu qu’il revêt.
Parce que le fameux angle de dépouille, lui, est plus vague à concevoir et bien moins facile à appréhender. Or il joue un rôle important pour ne pas dire essentiel dans la mécanique de production du copeau.
Alors aujourd’hui on va parler d’angle de dépouille et pour en comprendre l’enjeu, nous allons faire appel à des notions de géométrie et de physique du niveau 3ème: les vecteurs vitesse et la composition des vecteur vitesse.
Je préfère d’ailleurs prévenir ceux qui font de l’herpès géométral, parce que ce sont ces notions qui vont permettre de comprendre le sujet dont cet article parle, article qui constitue d’ailleurs un excellent complément à l’ouvrage sorti cette année!
L'angle de dépouille? Ques aquò?
L’angle de dépouille est défini comme suit: c’est l’angle que le bois voit dans le sillage de l’outil.
Alors avec ça me direz-vous, on est bien avancé. Ça reste toujours aussi flou et comme un joli schéma vaut mieux qu’un long discours, voici une illustration qui va permettre de se faire une meilleure idée de la chose:
Tu en voulais, de l'angle de dépouille? Eh ben en voilà, téh...!
Soit. On connaît désormais la définition. Mais quel rôle l’angle de dépouille joue-t-il et en quoi l’angle de dépouille influence-t-il la coupe?
L’angle de dépouille est en réalité essentiel pour permettre la production de copeau. Que l’on parle de bois ou de métal ou de tout autre matériau d’ailleurs, sans angle de dépouille, nulle coupe possible. Une illustration?
A gauche l’angle de dépouille est important et permet de faire descendre l’outil dans la matière. A droite, pas d’angle de dépouille, l’outil talonne et malgré toute la pression du monde, il ne descendra pas.
En réalité, et le schéma l’illustre bien, cet angle permet à l’outil d’éviter de talonner et par conséquent de plonger dans la matière. D’ailleurs la vitesse de plongée de la lame dans la matière (Vv) est dans une certaine mesure liée à la vitesse d’avancement de l’outil à la surface de la pièce (Va). En effet, plus l’angle de dépouille est important, plus l’outil sera prompt à plonger dans le bois. Il atteindra alors sa pleine efficacité presque immédiatement.
A contrario, un angle de dépouille trop faible entraînera une plongée interminable de l’outil. Autrement dit et parce que la matière contraint la trajectoire de l’outil, il existe une vitesse maximale de plongée de l’outil pour un angle de dépouille donné.
Cette assertion est vraie quel que soit l’outil et quelle que soit la matière: c’est tout simplement la géométrie du tranchant et l’architecture de l’outil qui le dicte!
L'angle de dépouille n'est pas ton ennemi
L’angle de dépouille, c’est justement ce sur quoi le sculpteur sur bois va directement jouer pour contrôler la plongée de son outil: il va modifier l’inclinaison de son ciseau ou de sa gouge et par là même son angle de dépouille pour mordre plus ou moins avec son outil et donc prendre plus ou moins de matière à chaque coup de maillet! C’est la raison pour laquelle les sculpteurs travaillent avec le biseau vers le bas 😉
Ceci dit et nous allons le voir, sur certains outils, il faut impérativement respecter un certain angle de dépouille sous peine de ruiner leur efficacité. (Sous entendu: Ouh là, malheureux, ne fais pas n’importe quoi avec ton angle de dépouille!!!)
Un exemple parlant: l'affûtage d'une mèche
Il est tout à faite envisageable et même recommandé de réaffûter les mèches à bois (en particulier les mèches à vis pilote). Cependant et en vertu de ce que l’on vient de voir, on comprendra aisément qu’il est des surfaces des tranchants d’une mèche que l’on pourra venir reprendre et d’autre qui ne doivent jamais ô grand jamais voir les dents d’une lime ou d’un tiers point.
Pour fixer les idées, les organes tranchants d’une mèche à bois à vis pilote sont d’une part les tranchants positionnés en extrémité de goujure et orientés radialement (ces tranchants sont situés de part et d’autre de la vis pilote pour les mèches à double goujure), et d’autre part les oreilles dont les tranchants se rapprochent de la direction longitudinale de la mèche.
Petit rappel sur la mise en oeuvre d'une mèche à vis pilote
Avec la rotation de la mèche, la vis pilote tire l’outil dans la matière. Les oreilles entrent au contact de la matière bien avant les tranchant et viennent sectionner les fibres. Ces fibres ne sont plus solidaires des fibres restées dans la pièce et les tranchants droits vont les soulever sans effort et les évacuer le long des goujures de l’outil jusqu’à la surface de la pièce.
Conséquences
Fort de ce rappel, on comprend que la vitesse d’avancement de l’outil dans le bois est donnée par le pas de la vis pilote (c’est à dire de combien la mèche progresse dans le bois pour un tour de manivelle).
Ainsi, pour que l’outil fonctionne, il est impératif que l’angle de dépouille des tranchants soit adapté à cette vitesse d’avancement. Trop faible, l’outil ne parviendra pas à pénétrer suffisamment vite dans le bois, pas aussi vite que la vis pilote ne tire la mèche du moins, ce qui rendra la mèche parfaitement inefficace!
Il est par conséquent hors de question ici de toucher l’angle de dépouille!
Un autre exemple: l'affûtage des dents de scies circulaires
Je vous propose, dans une démarche d’enrichissement de notre culture bois, que l’on sorte un peu du domaine de prédilection de ce blog. Et vous qui étiez ceinture marron en angle de dépouille, je vous propose de nous frotter à un problème un peu plus complexe, certes, mais à votre portée, j’en suis convaincu, pour devenir ceinture noire. Cet exemple est éloquent et montre la relation qui existe entre l’angle de dépouille, la vitesse de progression de l’outil dans la pièce et la vitesse de rotation de l’élément de coupe.
Vous sentez qu’on monte d’un cran mais vous allez voir que même si c’est plus complexe, ça n’en est pas moins compréhensible!
Le constat
Tout cela part d’un constat (très certainement partagé): je me suis déjà retrouvé à pousser une scie circulaire (oui oui, ça m’est arrivé et ça m’arrive encore!) et j’ai remarqué que dans certaines conditions, j’ai beau pousser comme un âne (et dieu sait que je peux pousser dans ces conditions!!!), la scie atteint une vitesse limite, une sorte d’asymptote impossible à dépasser. Le phénomène est surprenant quand on y est confronté.
La scie est pourtant bien affûtée, le bois ne pince pas la lame, le couteau diviseur plongeur est bien en place, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et pourtant l’outil n’avancera pas plus vite…
J’ai même remarqué que plus la scie plonge dans le bois, plus ce phénomène arrive rapidement et plus la vitesse est faible.
Incompréhensible me direz-vous?? Hmmm… que nenni…!
Hypothèses
Considérons une scie circulaire dont chaque dent sur la périphérie de la lame présente un angle de dépouille donné. Partons également du principe que l’on imprime à la lame une vitesse de rotation donnée et constante. Et puis, comme j’aime bien pousser les choses à leur limite, imaginons une scie fictive ou une configuration qui permette à l’axe de la lame de se retrouve légèrement en dessous de la surface du bois.
Observations
Arrêtons nous et étudions maintenant la dent, en bout de lame, qui s’apprête à quitter le bois. La lame tourne bien évidemment dans le carter de la scie.
La dent en question se déplace donc avec une certaine vitesse linéaire par rapport au bois. On va se placer du point de vue du bois et on va regarder par quelle vitesse la dent est mue.
La dent en question va décrire un mouvement résultant de la composante de deux autres mouvements: la vitesse de progression de la scie à la surface du bois et la vitesse linéaire de la dent due à la rotation de la lame. Cette dernière, la vitesse linéaire de la dent due à la rotation de la lame, est égale au produit de la vitesse de rotation de la lame et du rayon de cette dernière.
La vitesse résultante telle que la voit le bois, est alors donnée par la somme de ces deux vecteurs vitesse (la vitesse de progression de l’outil et la vitesse mue par la rotation de la lame).
Discussion
Tiens tiens… Regardez le schéma ce dernier schéma et penchez la tête à droite. Et justement ça ne vous rappelle pas quelque chose???
Evidemment que oui (je n’ai fait que pivoter le dessin d’un quart de tour vers la gauche) et on en déduit que plus la vitesse de progression de la scie à la surface du bois augmente, plus la vitesse de plongée Vv de l’outil (par analogie à ce que l’on a vu plus tôt) augmente. Autrement dit, à partir d’une certaine vitesse Vv (c’est à dire ici à partir d’une certaine vitesse de progression de la scie à la surface du bois), l’insert en carbure de tungstène talonne parce qu’exactement comme on l’a vu plus haut, l’angle de dépouille limite la vitesse de progression de la scie.
Alors oui, je sais, il s’agit d’un cas limite pour une scie fictive, certes, mais ça permet de fixer les idées. Ceci dit, si l’on revient à une scie un peu plus réaliste et si l’on diminue la profondeur de coupe, la vitesse limite de progression de l’outil sera plus grande, certes, mais cette vitesse limite existera bel et bien. C’est tout simplement que l’angle de dépouille engendre du talonnage!
Y a-t-il des solutions?
Qu’à cela ne tienne… Si l’on veut scier plus rapidement et pour peu que la puissance de l’outil l’autorise, nous allons avoir deux possibilités pour faire en sorte que la pente de la vitesse de la dent ne vienne pas coïncider avec l’angle de dépouille (on cherche justement à éviter ça!).
La piste des vitesses
Une première option consiste à augmenter la vitesse de rotation de la lame. Ça va avoir pour effet d’augmenter la vitesse linéaire de la dent, autrement dit d’étirer la vitesse Va et donc de ramener la composante du vecteur vitesse vers la vitesse Va. On s’éloigne ainsi de l’angle limite donné par l’angle de dépouille.
Or les scies tournent très souvent à régime max et plus la résistance du bois est importante, plus le régime baisse. C’est la double peine: la scie peine à faire tourner sa lame, par conséquent la vitesse Va diminue, ce qui mécaniquement fait augmenter l’angle de la composante des vitesses vue par le bois et nous rapproche dangereusement de l’angle de dépouille… Plus on pédale moins vite, moins on va plus vite…!
Certaines scies haut de gamme sont asservies en vitesse (le moteur est suffisamment puissant pour imposer une vitesse constante) mais jusqu’à une certaine limite. En talonnant, on augment les frottements et déjà qu’il y avait beaucoup de bois à avaler (je parie 10 sur la table que la scie est déjà dans le rouge), il y a toutes les chances pour que l’outil finisse par caler.
La piste des angles
Une seconde option envisageable consiste à augmenter l’angle de dépouille… Or ce n’est pas aussi simple que ça, et c’est justement ce qu’on va voir.
Les conséquences (pour les outils à main du moins)?
Rabots à biseaux vers le haut/rabots à biseau vers le bas
Ces deux architectures dont on parle abondamment dans le fameux livre diffèrent dans la mesure où une architecture donnée définit et fixe certains angles caractéristique de l’outil quand d’autres angles sont variables. Chaque architecture a ses variants et ses invariants.
En l’occurrence, un rabot à biseau vers le haut va rendre fixe et indépendant l’angle de dépouille (il correspond à l’angle du fer). A contrario, l’angle de dépouille d’un rabot à biseau vers le bas verra son angle de dépouille varier en fonction de l’angle d’affûtage du fer.
A retenir donc: sur un rabot à biseau vers le haut, l’angle de dépouille est fixe tandis que sur un rabot à biseau vers le bas, l’angle de dépouille dépend de l’angle d’affûtage.
Petite observation: sur un rabot à biseau vers le bas, l’angle de dépouille est égale à l’angle de fer auquel on soustrait l’angle de biseau et dans le cas d’un rabot à biseau vers le haut, l’angle de dépouille correspond très exactement à l’angle du fer.
La limite basse de l'angle d'affûtage
On perçoit déjà sur les rabots à biseau vers le bas une limite basse à l’angle d’affûtage pour atteindre une vitesse maximale de plongée dans le bois.
Sur ce type d’architecture, l’angle de dépouille maximal que l’on puisse atteindre correspond à l’angle de fer. Or dans cette configuration, l’angle d’affûtage (c’est à dire de biseau) devient virtuellement nul, ce qui, et c’est un euphémisme, rend le tranchant quelque peu fragile.
Il faudra par conséquent trouver un compromis entre tenue du tranchant et vitesse de plongée de l’outil dans le bois en fonction de l’acier qui constitue l’outil.
La limite haute de l'angle d'affûtage
De la même manière et comme nous l’avons vu, l’angle de dépouille ne doit en aucun cas autoriser un talonnage du fer de l’outil. En d’autres termes, sur un rabot à biseau vers le bas, l’angle d’affûtage maximal est donné pour un angle de dépouille nul. Ce qui en vertu de l’architecture de l’outil correspond à la situation où l’angle de biseau équivaut à l’angle de fer.
L'angle d'affûtage et tenue du tranchant
On aurait tendance à se dire que l’angle d’affûtage le plus adapté à la tenue du tranchant est l’angle le plus obtus possible. Et si l’on se place strictement du point de vue du tranchant, c’est à dire de manière complètement indépendante de l’opération que l’on réalise (le rabotage par exemple), ça a du sens: il y aura plus de matière juste derrière le tranchant. Ceci implique plus de matière non seulement pour dissiper la chaleur générée par frottement mais également pour encaisser les chocs, ce qui le rend bien plus solide.
Or sur un rabot à biseau vers le haut, plus l’angle de biseau augmente, plus l’angle de coupe sera important. En conséquence de quoi la résistance du bois à l’avancement du rabot sera bien plus grande. Achetez-vous dans ce cas une paire de bras de rechange si vous comptez voir le bout de votre journée de corroyage!
D’autre part, sur un rabot à biseau vers le bas, plus on augmente l’angle de biseau plus l’angle de dépouille diminue. Ça a pour effet d’augmenter le frottement du fer sur la matière et par conséquent la chaleur générée. Or plus l’acier est chaud, plus il s’abrase facilement au contact de la matière. La tenue dans le temps du tranchant sera par conséquent réduite.
L'angle d'affûtage optimal
On va être très pragmatique sur ce coup là et on ne va pas réinventer la roue. Parce qu’avec des décennies et des siècles de pratique, les artisans de l’époque ont trouvé l’angle optimal d’affûtage.
C’est l’acier qui détermine l’angle d’affûtage optimal. C’est à dire l’angle pour lequel la coupe est la plus efficace, sans pour autant sacrifier en tenue de coupe. Plus l’acier sera de qualité et plus la tenue du tranchant dans le temps sera grande. Et pour les aciers courants des outils d’aujourd’hui (je parle des vrais outils et non des objets en forme d’outils), l’O2, l’A1 et autres joyeusetés (PMV-11, PVM10, etc…) ont un angle d’affûtage optimal entre 25 et 30°.
Forcer l’angle légèrement au-delà de ces valeurs ne va pas drastiquement modifier la tenue du tranchant à l’usure. Mais plus on va s’en éloigner et plus la tenue chutera.
Une fois tout cela posé, s’il est une seule chose à retenir, c’est que sans angle de dépouille, point de copeaux.
Quoiqu’il en soit, affûtez, mais affûtez bien, mes amis… Et prenez soin de ce fameux et fabuleux angle de dépouille!
Maintenant, vous savez pourquoi!!!
2 replies to “Le Fameux et Fabuleux Angle de Dépouille”
Petitjean
Excellent complément au livre en effet !
J’ai affûté 3 ciseaux à bois pour la 1ere fois de ma vie hier… je n’en étais pas peu fier !
Merci pour ce super contenu.
Sébastien
Ce qu’on oublie trop souvent c’est qu’avant de savoir travailler le bois à la main, il faut impérativement, et c’est paradoxal, apprendre à affûter…
Merci pour ce retour!