Une fois un stage comme la pratique des fondamentaux terminé, on n’est plus vraiment tout à fait le même. Et je ne parle pas dans un premier temps des stagiaires. Non, même en tant qu’encadrant, on sort réellement transformé d’une telle expérience.
Certes, une fois les établis époussetés après une semaine de stage, une fois les outils huilés et le balais passé, une fois tout plié, c’est ce moment que la fatigue choisit pour grimper sur les épaules et se mettre tout d’un coup à peser de tout son poids. Parce qu’en réalité, encadrer un tel stage demande beaucoup, beaucoup de rigueur et nécessite une attention de tous les instants. Et puis en amont il y a une étape essentielle de préparation: la découpe des prédébits à partir de plateaux de bois et le corroyage de chacun des prédébits pour les mettre à la section et à la longueur. Ajouté à cela, j’ai mis un point d’honneur à finaliser le document pédagogique qui sera remis à chaque stagiaire et qui décrit étape par étape et à l’aide de schémas, l’exécution du tracé et la taille des assemblages abordés pendant le stage. D’ailleurs, ceux qui me connaissent savent à quel point je suis exigeant sur ce type de travail. L’encadrement du stage en soi demande une concentration toute particulière. Et c’est justement un réel plaisir de réussir à pointer du doigt ce qu’il faut améliorer. C’est une joie profonde que de trouver la bonne façon d’expliquer le geste et de percevoir au bruit a que la scie ne broute plus et ne broutera jamais plus à l’amorce du trait! Et puis nous avons fait quelques heures sup’ pendant la semaine de stage. D’ailleurs, c’est bien simple, entre le samedi midi qui a précédé le stage et le dernier jour, le vendredi soir à 22h, heure à laquelle j’ai éteint la lumière de l’atelier, j’ai consacré 84h pleines à l’enseignement des techniques du travail du bois à la main. Alors, non, rien que pour cela, on se sort pas vraiment le même de ce type de stage.
Mais ce n’est pas de cette transformation dont je parle. Un stage tel que celui-ci constitue une occasion incroyablement riche de prendre du recul par rapport à sa propre pratique. C’est une occasion de s’interroger sur ses propres gestes et sa propre technique. Pourquoi telle posture? Pourquoi tel geste? Comment réaliser tel autre? S’atteler à répondre à ces questions nécessite de l’écoute, du recul et un énorme travail. D’ailleurs c’est bien simple, si l’on est campé dans ses certitudes, l’enseignement sera inévitablement difficile. Mais, et il faut l’avouer, ce questionnement continuel est ce qui fait que l’encadrant grandit tout autant que les stagiaires!
D’autre part ce stage permet de confronter des semaines de travail à préparer ce stage à la réalité des choses. Les objectifs sont-ils réellement atteignables? Le programme était-il justement équilibré? Le volume de travail n’était-il pas ambitieux? Et c’est cette confrontation à la réalité qui fait voler en éclat quelques fausses idées.
Cette toute première session a été très riche en enseignements:
– Je suis parti du principe que la réalisation nécessite quatre assemblages à queues d’arondes, quatre assemblages à tenon-mortaises et huit assemblages à mi-bois. Ainsi, j’envisageai que si le premier assemblage allait demander du temps d’apprentissage, le second serait plus rapide, le troisième bien plus simple et les autres ne seraient, eux, qu’une simple formalité…
Que nenni. J’ai compris que la gestuelle, pour se construire, demande du temps. Et c’est par ailleurs ce qui différencie le travail du bois à la main du travail du bois à la machine. En réalité, et au contraire du travail du bois à la machine, le travail du bois à la main nécessite d’y laisser quelques gouttes de sueur. Il faut passer par quelques traits de scie foireux et laisser derrière le rabot quelques dressages de surface malencontreux. Mais ces erreurs sont autant d’occasions d’apprendre, de perfectionner son art et surtout de comprendre ce qui est en jeu. Et par « comprendre » je n’entends pas nécessairement le fait de dire, de poser des mots et d’être en mesure d’expliquer (mon père disait pourtant: « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots qu’il vous faut pour le dire vous viennent aisément! »). Parfois, comprendre, c’est juste ressentir sans nécessairement le conscientiser qu’en délestant le nez de la scie et en utilisant tel type de geste, l’amorce du trait est considérablement facilitée. C’est en réalité une manière bien plus profonde, bien plus corporelle et presque globale d’intégrer les choses. Le stage est alors l’occasion de revenir là-dessus, sur ces petits détails qui font toute la différence et permettent un gain significatif d’efficacité. Cela dit, l’intégration de ces détails n’est pas immédiat et nécessite un certain délai. Alors clairement, l’exécution des assemblages a été plus longue que prévue et si le banc de sciage est le projet idéal pour se confronter au travail du bois à la main, finaliser la réalisation en une semaine est un programme très ambitieux pour un débutant. J’ai donc décidé de placer le corroyage en fin de stage pour ne l’aborder que s’il nous reste du temps.
– Le choix de la gamme des outils utilisés pour la mise en pratique a clairement été le bon et a œuvré très favorablement à la réalisation des objectifs pédagogiques: des outils de qualité permettent aux stagiaires, une fois familiarisés avec l’objet en lui-même (la tenue, les réglages, la gestuelle associée), de se focaliser sur les gestes et sur la réalisation. En cela, on enlève une variable significative de l’équation complexe de l’apprentissage. Ca n’a l’air de rien comme ça, mais ça procure beaucoup de joie de voir que le stagiaire n’est pas forcé de modifier son geste pour tenter de parer aux défauts de l’outil. En d’autre terme, et en cela mon objectif est atteint, l’outillage offre au stagiaire les moyens de se concentrer pleinement et sans entrave sur ce qu’il fait et sur le résultat de ce qu’il fait. J’avais l’intime conviction qu’avec des outils d’une telle qualité, l’apprentissage se fait dans les meilleures conditions, c’est désormais une certitude.
– les objectifs pédagogiques sont remplis. Je développe mes stages et mes ateliers avec un objectif qui prime sur l’autre: le fait que les stagiaires s’approprient la connaissance, c’est à dire qu’ils comprennent la cohérence et la consistance de chacune des étapes de la réalisation revêt une importance plus grande que le fait même d’achever la réalisation. Mon objectif est qu’à l’issue du stage les stagiaires soient en mesure de travailler dans leur atelier en totale autonomie. Et cet objectif prime sur le fait de finaliser la réalisation en elle même. En d’autre termes, mon objectif n’est pas de voir mes élèves achever en cinq jours la réalisation d’un meuble mais je mets toute mon énergie à les aider à construire des connaissances solides et un répertoire gestuel robuste et large pour leur permettre de réaliser un meublede la meilleure qualité. Et le bilan de ce stage de mise en pratique des fondamentaux est sur ce point précis au delà de tout attente: les étapes de réalisation sont claires et acquises, la philosophie du travail du bois à la main et son changement de paradigme sont non seulement compris mais également et surtout appliqués. Enfin, la gestuelle est bien moins hésitante et a développé son plein potentiel!
– La transformation est opérante. Et je m’attache bien là aux stagiaires. C’est bien simple: je ne peux que faire le constat qu’au fur et à mesure que le temps progresse au cours de la semaine, la technique s’est affinée, les traits de scie ont significativement gagné en précision et le répertoire gestuel s’est considérablement étoffé.
A l’issue du stage, la pratique du travail du bois à la main est indéniablement meilleure et les progrès sont incontestables. En cela, l’objectif est pour moi pleinement rempli et ça, je dois le dire, je n’en suis pas peu fier.
D’ailleurs je n’ai maintenant qu’une hâte: celle de recommencer!
2 replies to “Bilan de la toute première session!”
Lotinus
Salut Seb,
Au top, comme d’habitude. Félicitations pour tes choix et la réalisation de cette première saison. Selon mes dispos, l’inscription à l’un des prochains stages serait un parfait complément des 10 mois passés à l’ESEA. Eh oui… je suis officiellement jeune ébéniste en devenir, en recherche d’un lieu à vivre et pour exercer.
L’occasion aussi d’enfin se voir en vrai.
Repose toi bien !
A+
Lolo
Merci beaucoup pour ce retour et content de te savoir diplômé!!
C’est amusant: je rentre tout juste de vacances pendant lesquelles Fanny et Stan, deux diplômés de l’ESEA d’il y a deux ans, il me semble, sont venus traîner leurs guêtres à l’atelier…! Autant te dire qu’on a parlé bois… 😉
En tous cas, oui, je t’accueillerai avec plaisir et ça sera une belle occasion de se voir en chair et en os.
A très vite!
Sébastien
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Bilan de la toute première session!
Une fois un stage comme la pratique des fondamentaux terminé, on n’est plus vraiment tout à fait le même. Et je ne parle pas dans un premier temps des stagiaires. Non, même en tant qu’encadrant, on sort réellement transformé d’une telle expérience.
Certes, une fois les établis époussetés après une semaine de stage, une fois les outils huilés et le balais passé, une fois tout plié, c’est ce moment que la fatigue choisit pour grimper sur les épaules et se mettre tout d’un coup à peser de tout son poids.
Parce qu’en réalité, encadrer un tel stage demande beaucoup, beaucoup de rigueur et nécessite une attention de tous les instants. Et puis en amont il y a une étape essentielle de préparation: la découpe des prédébits à partir de plateaux de bois et le corroyage de chacun des prédébits pour les mettre à la section et à la longueur. Ajouté à cela, j’ai mis un point d’honneur à finaliser le document pédagogique qui sera remis à chaque stagiaire et qui décrit étape par étape et à l’aide de schémas, l’exécution du tracé et la taille des assemblages abordés pendant le stage.
D’ailleurs, ceux qui me connaissent savent à quel point je suis exigeant sur ce type de travail.
L’encadrement du stage en soi demande une concentration toute particulière. Et c’est justement un réel plaisir de réussir à pointer du doigt ce qu’il faut améliorer. C’est une joie profonde que de trouver la bonne façon d’expliquer le geste et de percevoir au bruit a que la scie ne broute plus et ne broutera jamais plus à l’amorce du trait!
Et puis nous avons fait quelques heures sup’ pendant la semaine de stage.
D’ailleurs, c’est bien simple, entre le samedi midi qui a précédé le stage et le dernier jour, le vendredi soir à 22h, heure à laquelle j’ai éteint la lumière de l’atelier, j’ai consacré 84h pleines à l’enseignement des techniques du travail du bois à la main. Alors, non, rien que pour cela, on se sort pas vraiment le même de ce type de stage.
Mais ce n’est pas de cette transformation dont je parle. Un stage tel que celui-ci constitue une occasion incroyablement riche de prendre du recul par rapport à sa propre pratique. C’est une occasion de s’interroger sur ses propres gestes et sa propre technique. Pourquoi telle posture? Pourquoi tel geste? Comment réaliser tel autre? S’atteler à répondre à ces questions nécessite de l’écoute, du recul et un énorme travail. D’ailleurs c’est bien simple, si l’on est campé dans ses certitudes, l’enseignement sera inévitablement difficile.
Mais, et il faut l’avouer, ce questionnement continuel est ce qui fait que l’encadrant grandit tout autant que les stagiaires!
D’autre part ce stage permet de confronter des semaines de travail à préparer ce stage à la réalité des choses. Les objectifs sont-ils réellement atteignables? Le programme était-il justement équilibré? Le volume de travail n’était-il pas ambitieux? Et c’est cette confrontation à la réalité qui fait voler en éclat quelques fausses idées.
Cette toute première session a été très riche en enseignements:
– Je suis parti du principe que la réalisation nécessite quatre assemblages à queues d’arondes, quatre assemblages à tenon-mortaises et huit assemblages à mi-bois. Ainsi, j’envisageai que si le premier assemblage allait demander du temps d’apprentissage, le second serait plus rapide, le troisième bien plus simple et les autres ne seraient, eux, qu’une simple formalité…
Que nenni. J’ai compris que la gestuelle, pour se construire, demande du temps. Et c’est par ailleurs ce qui différencie le travail du bois à la main du travail du bois à la machine. En réalité, et au contraire du travail du bois à la machine, le travail du bois à la main nécessite d’y laisser quelques gouttes de sueur. Il faut passer par quelques traits de scie foireux et laisser derrière le rabot quelques dressages de surface malencontreux. Mais ces erreurs sont autant d’occasions d’apprendre, de perfectionner son art et surtout de comprendre ce qui est en jeu.
Et par « comprendre » je n’entends pas nécessairement le fait de dire, de poser des mots et d’être en mesure d’expliquer (mon père disait pourtant: « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots qu’il vous faut pour le dire vous viennent aisément! »). Parfois, comprendre, c’est juste ressentir sans nécessairement le conscientiser qu’en délestant le nez de la scie et en utilisant tel type de geste, l’amorce du trait est considérablement facilitée. C’est en réalité une manière bien plus profonde, bien plus corporelle et presque globale d’intégrer les choses.
Le stage est alors l’occasion de revenir là-dessus, sur ces petits détails qui font toute la différence et permettent un gain significatif d’efficacité. Cela dit, l’intégration de ces détails n’est pas immédiat et nécessite un certain délai. Alors clairement, l’exécution des assemblages a été plus longue que prévue et si le banc de sciage est le projet idéal pour se confronter au travail du bois à la main, finaliser la réalisation en une semaine est un programme très ambitieux pour un débutant. J’ai donc décidé de placer le corroyage en fin de stage pour ne l’aborder que s’il nous reste du temps.
– Le choix de la gamme des outils utilisés pour la mise en pratique a clairement été le bon et a œuvré très favorablement à la réalisation des objectifs pédagogiques: des outils de qualité permettent aux stagiaires, une fois familiarisés avec l’objet en lui-même (la tenue, les réglages, la gestuelle associée), de se focaliser sur les gestes et sur la réalisation. En cela, on enlève une variable significative de l’équation complexe de l’apprentissage.
Ca n’a l’air de rien comme ça, mais ça procure beaucoup de joie de voir que le stagiaire n’est pas forcé de modifier son geste pour tenter de parer aux défauts de l’outil. En d’autre terme, et en cela mon objectif est atteint, l’outillage offre au stagiaire les moyens de se concentrer pleinement et sans entrave sur ce qu’il fait et sur le résultat de ce qu’il fait. J’avais l’intime conviction qu’avec des outils d’une telle qualité, l’apprentissage se fait dans les meilleures conditions, c’est désormais une certitude.
– les objectifs pédagogiques sont remplis. Je développe mes stages et mes ateliers avec un objectif qui prime sur l’autre: le fait que les stagiaires s’approprient la connaissance, c’est à dire qu’ils comprennent la cohérence et la consistance de chacune des étapes de la réalisation revêt une importance plus grande que le fait même d’achever la réalisation. Mon objectif est qu’à l’issue du stage les stagiaires soient en mesure de travailler dans leur atelier en totale autonomie. Et cet objectif prime sur le fait de finaliser la réalisation en elle même. En d’autre termes, mon objectif n’est pas de voir mes élèves achever en cinq jours la réalisation d’un meuble mais je mets toute mon énergie à les aider à construire des connaissances solides et un répertoire gestuel robuste et large pour leur permettre de réaliser un meuble de la meilleure qualité.
Et le bilan de ce stage de mise en pratique des fondamentaux est sur ce point précis au delà de tout attente: les étapes de réalisation sont claires et acquises, la philosophie du travail du bois à la main et son changement de paradigme sont non seulement compris mais également et surtout appliqués. Enfin, la gestuelle est bien moins hésitante et a développé son plein potentiel!
– La transformation est opérante. Et je m’attache bien là aux stagiaires. C’est bien simple: je ne peux que faire le constat qu’au fur et à mesure que le temps progresse au cours de la semaine, la technique s’est affinée, les traits de scie ont significativement gagné en précision et le répertoire gestuel s’est considérablement étoffé.
A l’issue du stage, la pratique du travail du bois à la main est indéniablement meilleure et les progrès sont incontestables. En cela, l’objectif est pour moi pleinement rempli et ça, je dois le dire, je n’en suis pas peu fier.
D’ailleurs je n’ai maintenant qu’une hâte: celle de recommencer!
2 replies to “Bilan de la toute première session!”
Lotinus
Salut Seb,
Au top, comme d’habitude. Félicitations pour tes choix et la réalisation de cette première saison. Selon mes dispos, l’inscription à l’un des prochains stages serait un parfait complément des 10 mois passés à l’ESEA. Eh oui… je suis officiellement jeune ébéniste en devenir, en recherche d’un lieu à vivre et pour exercer.
L’occasion aussi d’enfin se voir en vrai.
Repose toi bien !
A+
Lolo
Sébastien
Merci beaucoup pour ce retour et content de te savoir diplômé!!
C’est amusant: je rentre tout juste de vacances pendant lesquelles Fanny et Stan, deux diplômés de l’ESEA d’il y a deux ans, il me semble, sont venus traîner leurs guêtres à l’atelier…! Autant te dire qu’on a parlé bois… 😉
En tous cas, oui, je t’accueillerai avec plaisir et ça sera une belle occasion de se voir en chair et en os.
A très vite!
Sébastien