Vous n’êtes certainement pas sans savoir que dans mon ancienne vie, je travaillais dans l’aéronautique. C’était une expérience pour le moins enrichissante sur bien des plans. Mais au lancement de mon activité d’ébéniste, je me suis retrouvé comme une poule devant une fourchette quand il s’est agit de définir le prix des réalisations qui sortaient des portes de mon atelier. Alors s’il existe diverses approches pour calculer ses prix j’ai fait le choix du juste prix des choses. Et voici pourquoi.
Un simple constat
Il ne vous a pas échappé que nous vivons de plein pied dans une société de type capitaliste. Et ce n’est pas une injure que d’affirmer cela. Ni même un vieux relan de marxisme faisandé trop longtemps relégué dans le fond du placard renfermé sous l’évier. Il s’agit là d’un simple fait.
Mais derrière ce constat se cache le besoin inassouvi et inassumé d’augmenter les marges pour faire grossir le capital des entreprises. Or ce besoin est devenu objectif ultime, un objectif à atteindre à n’importe quel prix. Quitte à mettre en œuvre des moyens qui frisent le charlatanisme. Et quitte également à décorréler le prix de vente de la réalité des coûts de production. Alors pour justifier tout cela, on vous sert les poncifs habituels avec un fatalisme presque larmoyant et un aplomb qui n’est étayé que par des certitudes dogmatique: mais que voulez-vous? C’est le prix du marché… C’est la loi de l’offre et de la demande…!
Yield management
Et pour illustrer mon propos, je souhaite évoquer le yield management. Il s’agit d’un mode de tarification mis en place par les compagnies aériennes. Et la SNCF leur a emboîté le pas. En réalité, si cette politique tarifaire vise à optimiser le chiffre d’affaire en adaptant le prix de l’offre à la demande (à l’instant même où cette demande est exprimée) ainsi qu’au contexte dans lequel la vente s’inscrit, elle a pour corolaire le fait que deux personnes assises côte à côte et qui empruntent le même trajet ne paieront pas nécessairement le même tarif. D’ailleurs la différence peut s’avérer choquante… Il n’y a donc plus aucun rapport entre le prix payé et la prestation qui lui correspond. Dit autrement, sous couvert de calculs statistiques opaques et d’optimisation savante du chiffre d’affaire, la politique tarifaire des entreprises est tout bonnement devenu la fête du slip.
Autres bizarreries marketing
Il me semble également pertinent de revenir sur une expérience personnelle. Elle permettra d’illustrer la décorrélation qui a été instaurée entre l’argent dépensé et le bien que l’on acquière. Dans une grande enseigne d’ameublement réputée, j’ai acheté il y a de cela plusieurs années maintenant un cadre pour mettre en valeur une photo sur le mur de mon salon (celui de mon fameux T2)! J’ai fait le choix de ce cadre parce qu’il était, j’en fus le premier surpris, constitué de bois massif. Et pourtant son prix restait malgré tout très raisonnable. Quelques années plus tard, j’ai à nouveau éprouvé le besoin d’encadrer une autre photo (#ilovemydécodinterieur). Même enseigne, même cadre, même magasin… Et sans me poser la moindre question je l’ai acheté. Et quand je dis « le même cadre », il s’agissait strictement du même modèle (même nom). Il s’agit également de la même couleur et le détail a son importance, il s’agit du même prix. C’est en arrivant chez moi que j’ai réalisé que le cadre en bois massif vendu dans les rayons quelques années auparavant s’était mué entre temps en vulgaires morceaux de MDF agrafés entre eux et plaqués d’une imitation bois. Pourtant, je doute que le coût de production de ce cadre de piètre qualité n’atteigne celui du premier cadre en bois massif acheté… Or le prix de vente, lui, est resté le même… Non! Il a même diminué du coût de l’inflation sur cette période…!
Le juste prix des choses
En réalité, il y a quelque chose qui me choque profondément dans ces pratiques. J’ai ce sentiment constant et persistant de ne pas en avoir pour mon argent. D’autant plus si le bonhomme assis juste à côté de moi a payé la moitié du prix de mon billet alors que l’on effectue strictement le même trajet. Ou encore si pour le même prix et quelques années auparavant, j’obtenais un cadre en bois massif donc de bien meilleure qualité. Il s’agit d’un sentiment très désagréable. A fortiori lorsque ça n’est pas annoncé de manière transparente mais que je le découvre un peu au hasard… C’est la raison pour laquelle j’ai pris le parti pour mon enseigne de revenir au juste prix des choses. J’ai fait le choix de manière très transparente et claire de calculer mes prix en fonction du temps passé et de la prestation réalisée. Point.
Le juste prix des choses: un calcul simple
C’est bien simple: les prix que je pratique sont déterminés de la manière suivante. Après avoir conçu le meuble, je calcule le coût de la matière première. Ce coût prend en compte le transport chez le fournisseur ou les frais d’expédition. Je tiens à préciser que je ne me rémunère ni sur le temps passé en trajet ni sur le temps (parfois long) passé chez le fournisseur à sélectionner les planches qui viendront constituer le meuble. Le prix prend également en compte la perte de matière première. En effet, les chutes de délignage et les copeaux enlevés au corroyage ne feront pas partie intégrante de la réalisation. A ce coût de matière première vient s’ajouter le temps passé à la réalisation. Ce temps se compte en heures et j’ai pris le parti d’adopter un tarif horaire de 40€TTC. (Nota: le renchérissement du prix de l’énergie n’a qu’un impact très limité sur le prix final de la réalisation. C’est le mode de production qui veut ça. Le jour où le prix du muesli augmentera, on en rediscutera très certainement!)
Le juste prix des choses: un prix honnête et équitable
Ce tarif horaire est pour moi le plus juste, c’est à dire le plus honnête et le plus équitable. Il est équitable vis à vis du client, ce point est pour moi fondamental, tout comme il l’est vis à vis de l’artisan, et ce point l’est tout autant.
En premier lieu, il s’agit d’un prix juste tout d’abord pour le client parce que peu importe le prix du marché, peu importe la conjoncture, le prix, lui, ne fluctuera pas au gré de paramètres ésotériques et de modèles obscur. Il restera en cohérence et intimement lié à la nature et à la qualité de la réalisation.
Mais ce prix est également juste et équitable pour l’artisan parce qu’il me permet de vivre dignement du travail de mes mains. Il me permet de bénéficier d’une protection sociale sans brader mon travail, ni me dévoyer. Et par protection sociale, j’entends assurance maladie, assurance chômage et cotisation à la retraite. (Ca semble incroyable qu’un artisan puisse être couvert à ce point? Allez-donc jetter un oeil ici!) Ajouté à cela, et ce point est d’une importance fondamentale, ce prix n’a ni pour but de faire grossir le capital d’une quelconque entreprise ni de glisser des plus gros dividendes dans la poche d’actionnaires anonymes et lointains dont on ne connaît ni les objectifs, ni la stratégie, ni les intentions. En revanche, il permettra de mettre du bois dans la cheminée et du pain sur la table à manger et de pourvoir aux besoins de mon garçon. Il permettra également de mettre un livre à lire sur sa table de chevet, de l’emmener randonner en montagne l’été et d’aller pêcher en rivière le week-end.
Politique de vente et calcul des prix
De même, je ne suis pas stratège en marketing et je ne cherche pas paradoxalement la vente à tout prix. Je n’irai pas utiliser des techniques issues de l’industrie automobile, de la grande distribution ou de toute autre école de force de vente pour aller chercher coûte que coûte à déclencher l’achat. Parce que ce n’est tout simplement pas dans ma nature. D’ailleurs s’il est une raison qui précède les autres, c’est bien simple, ces techniques me sont tout simplement parfaitement inconnues…! J’ai également pris le parti de conseiller mes clients de la façon la plus juste. Si après discussion il s’avère que je ne sois pas en mesure de répondre convenablement à leur demande, je les aiguille avec grand plaisir vers un confrère qui sera tout aussi compétent. A tout choisir, je préfère un client satisfait chez un autre qu’un client qui repart insatisfait et frustré de chez moi!
En réalité, le calcul d’un prix et la manière dont une enseigne se positionne s’inscrit dans un cadre philosophique et presque éthique qui lui est propre. Et tout cela procède d’un choix qui n’est pas aussi anodin qu’il y paraît: il en dit long sur la finalité de la relation que cette entreprise tisse avec ses clients. Certes, je suis conscient que ce positionnement réaliste et non opportuniste est à contre-courant de la pensée dominante. On m’a même fait remarquer qu’avec ce type de positionnement je n’avais pas l’esprit « entrepreneur ». Très sincèrement, est-ce pertinent quand on est marteaux de ne considérer le monde que sous forme de clous? La Manufacture Atelier Bois n’est pas une start-up florissante de l’économie numérique mais bien un atelier où un artisan travaille avec ses mains pour réaliser des meubles construits pour durer.
Alors cette manière de déterminer les prix n’est pas le fruit du hasard. Il s’agit de poser en toute transparence le juste prix des choses pour, tout comme mes meubles, construire une relation saine, solide et durable avec ceux qui décident de franchir la porte de l’atelier.
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Le juste prix des choses
Vous n’êtes certainement pas sans savoir que dans mon ancienne vie, je travaillais dans l’aéronautique. C’était une expérience pour le moins enrichissante sur bien des plans. Mais au lancement de mon activité d’ébéniste, je me suis retrouvé comme une poule devant une fourchette quand il s’est agit de définir le prix des réalisations qui sortaient des portes de mon atelier. Alors s’il existe diverses approches pour calculer ses prix j’ai fait le choix du juste prix des choses. Et voici pourquoi.
Un simple constat
Il ne vous a pas échappé que nous vivons de plein pied dans une société de type capitaliste. Et ce n’est pas une injure que d’affirmer cela. Ni même un vieux relan de marxisme faisandé trop longtemps relégué dans le fond du placard renfermé sous l’évier. Il s’agit là d’un simple fait.
Mais derrière ce constat se cache le besoin inassouvi et inassumé d’augmenter les marges pour faire grossir le capital des entreprises. Or ce besoin est devenu objectif ultime, un objectif à atteindre à n’importe quel prix. Quitte à mettre en œuvre des moyens qui frisent le charlatanisme. Et quitte également à décorréler le prix de vente de la réalité des coûts de production. Alors pour justifier tout cela, on vous sert les poncifs habituels avec un fatalisme presque larmoyant et un aplomb qui n’est étayé que par des certitudes dogmatique: mais que voulez-vous? C’est le prix du marché… C’est la loi de l’offre et de la demande…!
Yield management
Et pour illustrer mon propos, je souhaite évoquer le yield management. Il s’agit d’un mode de tarification mis en place par les compagnies aériennes. Et la SNCF leur a emboîté le pas. En réalité, si cette politique tarifaire vise à optimiser le chiffre d’affaire en adaptant le prix de l’offre à la demande (à l’instant même où cette demande est exprimée) ainsi qu’au contexte dans lequel la vente s’inscrit, elle a pour corolaire le fait que deux personnes assises côte à côte et qui empruntent le même trajet ne paieront pas nécessairement le même tarif. D’ailleurs la différence peut s’avérer choquante… Il n’y a donc plus aucun rapport entre le prix payé et la prestation qui lui correspond.
Dit autrement, sous couvert de calculs statistiques opaques et d’optimisation savante du chiffre d’affaire, la politique tarifaire des entreprises est tout bonnement devenu la fête du slip.
Autres bizarreries marketing
Il me semble également pertinent de revenir sur une expérience personnelle. Elle permettra d’illustrer la décorrélation qui a été instaurée entre l’argent dépensé et le bien que l’on acquière.
Dans une grande enseigne d’ameublement réputée, j’ai acheté il y a de cela plusieurs années maintenant un cadre pour mettre en valeur une photo sur le mur de mon salon (celui de mon fameux T2)! J’ai fait le choix de ce cadre parce qu’il était, j’en fus le premier surpris, constitué de bois massif. Et pourtant son prix restait malgré tout très raisonnable. Quelques années plus tard, j’ai à nouveau éprouvé le besoin d’encadrer une autre photo (#ilovemydécodinterieur).
Même enseigne, même cadre, même magasin… Et sans me poser la moindre question je l’ai acheté. Et quand je dis « le même cadre », il s’agissait strictement du même modèle (même nom). Il s’agit également de la même couleur et le détail a son importance, il s’agit du même prix.
C’est en arrivant chez moi que j’ai réalisé que le cadre en bois massif vendu dans les rayons quelques années auparavant s’était mué entre temps en vulgaires morceaux de MDF agrafés entre eux et plaqués d’une imitation bois. Pourtant, je doute que le coût de production de ce cadre de piètre qualité n’atteigne celui du premier cadre en bois massif acheté… Or le prix de vente, lui, est resté le même… Non! Il a même diminué du coût de l’inflation sur cette période…!
Le juste prix des choses
En réalité, il y a quelque chose qui me choque profondément dans ces pratiques. J’ai ce sentiment constant et persistant de ne pas en avoir pour mon argent. D’autant plus si le bonhomme assis juste à côté de moi a payé la moitié du prix de mon billet alors que l’on effectue strictement le même trajet. Ou encore si pour le même prix et quelques années auparavant, j’obtenais un cadre en bois massif donc de bien meilleure qualité.
Il s’agit d’un sentiment très désagréable. A fortiori lorsque ça n’est pas annoncé de manière transparente mais que je le découvre un peu au hasard…
C’est la raison pour laquelle j’ai pris le parti pour mon enseigne de revenir au juste prix des choses. J’ai fait le choix de manière très transparente et claire de calculer mes prix en fonction du temps passé et de la prestation réalisée. Point.
Le juste prix des choses: un calcul simple
C’est bien simple: les prix que je pratique sont déterminés de la manière suivante. Après avoir conçu le meuble, je calcule le coût de la matière première. Ce coût prend en compte le transport chez le fournisseur ou les frais d’expédition. Je tiens à préciser que je ne me rémunère ni sur le temps passé en trajet ni sur le temps (parfois long) passé chez le fournisseur à sélectionner les planches qui viendront constituer le meuble. Le prix prend également en compte la perte de matière première. En effet, les chutes de délignage et les copeaux enlevés au corroyage ne feront pas partie intégrante de la réalisation.
A ce coût de matière première vient s’ajouter le temps passé à la réalisation. Ce temps se compte en heures et j’ai pris le parti d’adopter un tarif horaire de 40€TTC.
(Nota: le renchérissement du prix de l’énergie n’a qu’un impact très limité sur le prix final de la réalisation. C’est le mode de production qui veut ça. Le jour où le prix du muesli augmentera, on en rediscutera très certainement!)
Le juste prix des choses: un prix honnête et équitable
Ce tarif horaire est pour moi le plus juste, c’est à dire le plus honnête et le plus équitable.
Il est équitable vis à vis du client, ce point est pour moi fondamental, tout comme il l’est vis à vis de l’artisan, et ce point l’est tout autant.
En premier lieu, il s’agit d’un prix juste tout d’abord pour le client parce que peu importe le prix du marché, peu importe la conjoncture, le prix, lui, ne fluctuera pas au gré de paramètres ésotériques et de modèles obscur. Il restera en cohérence et intimement lié à la nature et à la qualité de la réalisation.
Mais ce prix est également juste et équitable pour l’artisan parce qu’il me permet de vivre dignement du travail de mes mains. Il me permet de bénéficier d’une protection sociale sans brader mon travail, ni me dévoyer. Et par protection sociale, j’entends assurance maladie, assurance chômage et cotisation à la retraite. (Ca semble incroyable qu’un artisan puisse être couvert à ce point? Allez-donc jetter un oeil ici!)
Ajouté à cela, et ce point est d’une importance fondamentale, ce prix n’a ni pour but de faire grossir le capital d’une quelconque entreprise ni de glisser des plus gros dividendes dans la poche d’actionnaires anonymes et lointains dont on ne connaît ni les objectifs, ni la stratégie, ni les intentions. En revanche, il permettra de mettre du bois dans la cheminée et du pain sur la table à manger et de pourvoir aux besoins de mon garçon. Il permettra également de mettre un livre à lire sur sa table de chevet, de l’emmener randonner en montagne l’été et d’aller pêcher en rivière le week-end.
Politique de vente et calcul des prix
De même, je ne suis pas stratège en marketing et je ne cherche pas paradoxalement la vente à tout prix. Je n’irai pas utiliser des techniques issues de l’industrie automobile, de la grande distribution ou de toute autre école de force de vente pour aller chercher coûte que coûte à déclencher l’achat. Parce que ce n’est tout simplement pas dans ma nature. D’ailleurs s’il est une raison qui précède les autres, c’est bien simple, ces techniques me sont tout simplement parfaitement inconnues…!
J’ai également pris le parti de conseiller mes clients de la façon la plus juste. Si après discussion il s’avère que je ne sois pas en mesure de répondre convenablement à leur demande, je les aiguille avec grand plaisir vers un confrère qui sera tout aussi compétent. A tout choisir, je préfère un client satisfait chez un autre qu’un client qui repart insatisfait et frustré de chez moi!
En réalité, le calcul d’un prix et la manière dont une enseigne se positionne s’inscrit dans un cadre philosophique et presque éthique qui lui est propre. Et tout cela procède d’un choix qui n’est pas aussi anodin qu’il y paraît: il en dit long sur la finalité de la relation que cette entreprise tisse avec ses clients.
Certes, je suis conscient que ce positionnement réaliste et non opportuniste est à contre-courant de la pensée dominante. On m’a même fait remarquer qu’avec ce type de positionnement je n’avais pas l’esprit « entrepreneur ». Très sincèrement, est-ce pertinent quand on est marteaux de ne considérer le monde que sous forme de clous? La Manufacture Atelier Bois n’est pas une start-up florissante de l’économie numérique mais bien un atelier où un artisan travaille avec ses mains pour réaliser des meubles construits pour durer.
Alors cette manière de déterminer les prix n’est pas le fruit du hasard. Il s’agit de poser en toute transparence le juste prix des choses pour, tout comme mes meubles, construire une relation saine, solide et durable avec ceux qui décident de franchir la porte de l’atelier.
Crédit photo: Amandine Szczepaniak